Frans Timmermans, seuls des signaux budgétaires robustes peuvent sauver votre "Green Deal"

Lettre ouverte à la Commission européenne – une version courte de cet article a été publiée le 5 janvier 2021 dans le Financial Dagblad (NL). 

En mai 2020, le Commissaire européen Frans Timmermans a lancé sa stratégie ‘De la ferme à la table’, le cœur du Green Deal, visant un apport de 387 milliards d'euros dans l’agriculture. Une stratégie proposant une durabilité de grande envergure dans le système alimentaire. Mais maintenant, six mois plus tard, il n’en reste plus grand-chose. Selon Volkert Engelsman, PDG d’Eosta, désormais seules des mesures fiscales peuvent encore sauver le Green Deal et la stratégie ‘De la ferme à la table’. En associant un prix, basé sur la Comptabilité du coût véritable, aux coûts externalisés, on pourrait établir des règles du jeu équitables. Ceci est également essentiel pour les calculs économiques que l’on effectue à l’heure actuelle sur les effets à venir de la stratégie ‘De la ferme à la table’. Sans cela, cela reviendrait à comparer des pommes avec des poires.

La stratégie ‘De la ferme à la table’, présentée en mai par Frans Timmermans, devait permettre d’assurer la sécurité alimentaire pour l'avenir, dans un monde où le climat et l'écosystème sont instables. Ce qui demande une agriculture robuste et résistante, proposant des chaînes plus courtes, moins dépendantes des intrants externes et moins sensibles aux perturbations externes. La Commission européenne s'est donc fixée comme objectif d'atteindre 25 % d'agriculture biologique d'ici à 2030. L'UE veut également réduire l'utilisation des pesticides de 50 % en dix ans. Le 14 octobre, la revue scientifique Nature a qualifié ce plan dechangement de donne potentiel, mais a également averti que son succès dépendrait de la capacité de la Commission européenne à créer une dynamique politique au sein du Parlement et des États membres.

Malheureusement, il semble d'ores et déjà qu’il est déjà trop tard. Le 23 octobre, le Parlement européen a voté pour une nouvelle politique agricole européenne (PAC) qui ne peut se résumer qu'à un ‘statu quo’. L’Observatoire de l'Europe industrielle (CEO) a annoncé que sous l'influence d'un puissant lobby agrochimique, presque tous les points du Green Deal ont été exclus de la nouvelle PAC. La majeure partie des subventions agricoles d’un montant de 387 milliards d’euros, va continuer d’être versée à l’agriculture conventionnelle, sous forme de primes à l'hectare. L'Institut de recherche français INRAE et l’Université technique de Paris concluent que les objectifs de la nouvelle PAC ne répondent pas aux objectifs du Green Deal.

Que peut-on encore faire, Monsieur Timmermans ? En décembre, au nom du Secteur biologique européen, j’ai eu l’occasion de participer à une séance de brainstorming avec le Commissaire européen à l'agriculture, Janusz Wojciechowski, où j’ai pu présenter mon plaidoyer publiquement, à savoir : une véritable durabilité dans l'agriculture n'est possible que si un pollueur ne s'en tire plus par un simple avantage concurrentiel. Cet avantage concurrentiel se trouve dans les coûts externalisés bien connus. Comptabiliser le coût véritable permettrait d’établir, à cet effet, le prix et les mesures fiscales à appliquer.

Dépenses externes de l'agriculture allemande : 90 milliards par an

De quoi s'agit-il exactement ? L'agriculture intensive, en particulier l'élevage, entraîne un grave appauvrissement des sols, une pollution de l'eau, une perte de biodiversité et un changement climatique, dont les coûts sont aujourd'hui répercutés sur le contribuable et les générations futures. En outre, les coûts de santé augmentent de façon explosive, en partie à cause de l’épidémie de Parkinson chez les agriculteurs, mais les épidémies d'obésité et de diabète de type 2 sont elles aussi inextricablement liées à la façon dont nous avons organisé notre système alimentaire depuis des décennies. Le Groupe Boston Consulting a récemment calculé que les coûts externes de l'agriculture pour l'Allemagne s'élevaient à 90 milliards par an .

Continuer de cette manière c’est faire des économies de bouts de chandelle. Nous compromettons ainsi notre capacité à être rentables et productifs à long terme, dans le domaine de l'agriculture et de l'alimentation. Le Corona-virus et les nouvelles pandémies qui nous attendent montrent que les coûts dits externes peuvent frapper durement non seulement la prochaine génération, mais aussi la génération actuelle. Nous avons tellement fragilisé l'écosystème et la biodiversité que ces derniers ne peuvent plus empêcher les épidémies de ce type.

Ces coûts externalisés doivent être cartographiés et chiffrés

C'est pourquoi nous sommons la Commission européenne de mener une politique de transparence en matière d’externalités. La Commission européenne a pris un départ prometteur avec la législation et la réglementation dans le secteur financier. Il est maintenant plus difficile, pour les banques sous surveillance, d'investir dans des actifs en difficulté, comme l'industrie des combustibles fossiles.

Mais le calcul du prix de ces externalités est tout aussi important, car ce sera un instrument puissant pour garantir des conditions de concurrence équitables sur le marché. En y associant des montants en numéraire, le sujet devient clairement communicable et des mesures concrètes peuvent être envisagées.

Vous n'êtes pas seul

Messieurs Timmermans et Wojciechowksi, si la Commission européenne se charge de la mise en œuvre d’une comptabilité des coûts réels et de l’estimation du prix des externalités, vous vous trouverez en bonne compagnie :

  • Les banques centrales font maintenant exécuter des tests de durabilité sur les investisseurs institutionnels.
  • Les sociétés de conseil, comme le Groupe Boston Consultancy, concentrent de manière intensive leurs travaux sur l'identification des externalités.
  • S&P Global et d'autres agences de notation financière incluent des indicateurs de durabilité dans leurs RAROCs (Rendement du capital ajusté en fonction du risque).
  • Des cabinets d’audit et de conseil, comme EY et PwC, travaillent ensemble au sein de la Coalition du capital Naturel & Social pour mettre en place des protocoles de rapports sociétaux monétisés. Le Conseil mondial des affaires pour le développement durable s'y est fermement engagé.
  • Le secteur privé y participe également. La chaîne allemande de supermarchés Penny (Groupe REWE) possède déjà des magasins phares où, outre le prix normal, le prix ‘True Cost’ est également affiché Et récemment, l’actrice néerlandaise Katja Schuurman a ouvert le premier supermarché néerlandais ‘True Price’ (De Aanzet, supermarché bio) à Amsterdam
  • Des scientifiques, entre autres de l'université d'Augsbourg, ont fait des comparaisons sur le Prix réel.

L’intérêt pour les agriculteurs

L'attention que l’on porte aux coûts réels de la production alimentaire est également dans l'intérêt des agriculteurs. L’UE a trop longtemps forcé les agriculteurs à se baser sur les kilos récoltés au mètre carré, au détriment de la diversité, du bien-être des animaux, du paysage, du plaisir de travailler et de tous les autres coûts externes. Or nous devons maintenant nous concentrer sur la pertinence sociétale au mètre carré, tant sur le plan écologique que social. Seulement alors les agriculteurs pourront être rémunérés correctement, non seulement pour la production alimentaire, mais aussi pour leurs services rendus à l'écosystème, à la préservation du paysage culturel et pour leur contribution à la cohésion sociale dans les zones rurales d'Europe.

Trois mesures fiscales

La Commission européenne peut faire de la stratégie ‘De la ferme à la table’ une réalité, en examinant des possibilités concrètes de mesures fiscales d’incitation, basées sur le principe de la responsabilité - et il n'y a rien d'extraordinaire à cela - selon lequel le pollueur paie. Que pourrait-on mettre en place ? Je veux mentionner trois mesures, dont l'impact systémique va crescendo :

  1. Tout d'abord, il faut mettre un frein aux pratiques néfastes actuelles. Cela peut passer par un impôt sur les pesticides agrochimiques, les engrais et les concentrés de fourrage importés.
  2. Pour intervenir de façon plus rigoureuse, il faut viser une transition en matière de protéines. Cela peut se faire par un impôt plus élevé sur les produits à base de viande et une réduction de la TVA, à 0 %, sur les fruits et légumes. Cela permettra d'amorcer une transition durable des protéines animales vers les protéines végétales, comme le proposent de nombreuses organisations européennes, dont la coalition néerlandaise TAPP.
  3. Si l’on veut rendre l'économie plus durable dans tous les domaines, on peut envisager de passer de la Taxe sur la Valeur Ajoutée brute à la Taxe sur la Valeur Extraite brute : le projet Ex'tax, comme le préconise par l'OCDE. Ce système permet de taxer la valeur sur les ressources naturelles extraites, tandis que le travail n’est plus taxé. Ce qui engendre un effet à double tranchant : on stimule l'économie circulaire, mais aussi l'emploi et le développement des talents.

Le conflit est inévitable

Pour rendre l'approvisionnement alimentaire européen durable, il faut faire face aux énormes intérêts investis par les industries agrochimiques et par les industries produisant des engrais et des concentrés. Inévitablement, il faudra faire face aux forces conservatrices terrifiées par la nouvelle normalité. Ces forces ont déjà réussi à bloquer les innovations de la PAC, mais ne se contenteront pas de cela. L'industrie du bétail continue de crier au meurtre par la voix de Mme Schreijer-Pierik.

Une comptabilité honnête

Aujourd'hui, Carola Schouten a fait savoir que la Commission européenne va se lancer dans les calculs des coûts de la stratégie ‘De la ferme à la table’ . Il ne faudra pas oublier d'inclure dans ce calcul : les coûts externes du réchauffement climatique, de la fertilité des sols, de la qualité de l'eau, de la biodiversité, de la santé, des problèmes d'azote et du capital social.

C'est à la Commission européenne de faire ce choix. On pourrait s’en tenir au ‘vieux normal’, pour le bien d'une petite élite financière, au détriment des hommes et de la planète, dont le citoyen européen.

On peut aussi adopter le ‘nouveau normal’, comme l'exprime si bien votre propre stratégie ‘De la ferme à la table’. Il faudra alors traduire la stratégie par des signaux fiscaux forts créant les conditions d’un marché plus équitable. Sinon, tout ceci ne sera qu’un grand coup d’épée dans l’eau. Et il ne restera rien de la stratégie ‘De la ferme à la table’ et du Green Deal dans dix ans. »

Volkert Engelsman

CEO Eosta / Nature & More

Vous êtes ici